Le tracé
A-Généralité:
Le choix des emplacements des incisions est crucial, car il détermine l'emplacement de la cicatrice finale, et donc le résultat esthétique et fonctionnel. Même si des ajustements peuvent être nécessaires pendant l'intervention, ce choix est soigneusement considéré et décidé avant l'opération, avant même de tracer les contours et d'administrer l'anesthésie locale. Les considérations fonctionnelles sont prioritaires, suivies des aspects esthétiques. Il est essentiel de respecter ce choix . Le résultat cicatriciel attendu sera expliqué au patient lors de la consultation préopératoire.
La question de l'orientation des lignes d'incision se pose indépendamment de la méthode de réparation choisie (exérèse, suture, lambeau, greffe de peau), et cela concerne l'ensemble de la surface cutanée, mais particulièrement au niveau du visage où les cicatrices sont visibles.
Lors de la détermination des orientations préférées des incisions, il est crucial de prendre en considération les propriétés biomécaniques de la peau, ses relations avec les structures sous-jacentes (muscles et os), ainsi que l'anatomie de la région en question. Cela inclut les reliefs et les creux, les ouvertures, les plis de flexion, les rides, les contours des unités esthétiques, les lignes de symétrie et les zones de moindre tension cutanée . L'orientation de chaque incision est décidée au cas par cas pour chaque patient, en respectant des principes qui peuvent varier en rigidité.
B-Règles pour l'orientation des lignes d'incision:
Les principes suivants doivent être respectés:
Orienter l'incision et les points de suture le long des lignes de moindre tension cutanée, car une tension excessive peut provoquer une distension, un relâchement des sutures conduisant à une désunion, voire à une cicatrice inflammatoire voire hypertrophique.
Éviter de dessiner une forme en fuseau perpendiculaire aux reliefs osseux (arête nasale, mandibule, rebord orbitaire) ou cutanés (philtrum labial), car cela augmente le risque de développer une cicatrice hypertrophique.
Éviter de dessiner une forme en fuseau perpendiculaire aux plis de flexion, car cela accroît le risque de formation de brides et de dystrophies cicatricielles. Les mouvements et les tensions exercées sur la cicatrice peuvent perturber le processus de cicatrisation. Lorsqu'il s'agit d'une zone articulée, l'incision doit être réalisée lorsque l'articulation est en position neutre. Si la flexion ou l'extension engendre des tensions, il est nécessaire d'immobiliser l'articulation pendant la période de cicatrisation.
Respecter les orifices naturels (bouche, yeux, nez) en préservant leur fonction et en évitant toute déformation.
C-Lignes de moindre tension cutanée:
De nombreux auteurs ont présenté des schémas de lignes d'incision , qui peuvent fournir des indications utiles, mais ne doivent pas être suivis aveuglément comme des règles strictes.
Karl Langer a présenté les premiers schémas de lignes de moindre tension cutanée (LMTC) à la fin du XIXe siècle. Ces schémas ont été considérés comme des références pour les incisions chirurgicales et ont été ensuite adoptés et modifiés par de nombreux autres auteurs . Cependant, il est important de noter que ces lignes ont été établies en se basant sur des cadavres immobiles et allongés, ce qui ne correspond pas nécessairement aux lignes de moindre tension observées chez les individus vivants, debout et en mouvement. Cela est particulièrement vrai pour des régions telles que le cuir chevelu, le front, les tempes, la glabelle et la zone centrale des joues .
En 1951, Kraissl a développé des schémas de lignes d'incision qui suivent les plis et les rides induits par les mouvements musculaires . Cependant, ces schémas doivent être interprétés avec prudence en raison des variations individuelles. De plus, dans certaines régions, notamment le visage, il existe des muscles aux actions opposées, orientés dans des directions différentes, ainsi que des plis de peau présentant des orientations distinctes dans une même zone. Dans de tels cas, lors du test d'étirement cutané (TEC), il sera nécessaire de décider si la priorité doit être donnée à la ride ou à la contraction musculaire.
Les lignes de moindre tension cutanée ont été identifiées chez des sujets vivants par Borges et ses collègues . Elles correspondent, lorsqu'elles sont observées sur une peau relâchée, aux sillons cutanés formés sous l'effet d'une tension constante dictée par les structures osseuses et cartilagineuses sous-jacentes ainsi que le volume des tissus sous-cutanés. Cette tension évolue en réponse à la contraction musculaire et aux mouvements des articulations. Les lignes de moindre tension cutanée sont déterminées en pinçant la peau, en mobilisant une articulation ou en contractant un muscle. La technique de pincement, appelée test d'étirement cutané, est la plus précise pour cela.
La Figure en dessous présente les lignes de moindre tension cutanée du visage d'après Borges(A), les comparant aux schémas de Langer(B) et de Kraissl (C)
Au niveau du visage, les lignes d'incision privilégient généralement le suivi des rides , sauf dans certains cas particuliers tels que la zone médio-frontale où une orientation verticale peut être appropriée.
En ce qui concerne le reste du corps, le schéma de référence est celui proposé par Kraissl, qui suggère des incisions transversales pour les membres et le tronc, à l'exception du dos et de la région claviculaire
Dans certaines situations, la tension est neutre et la perte de substance ne provoque pas de déformation notable (comme c'est le cas pour les paumes, les plantes des pieds, le cuir chevelu et la face antérieure du thorax, ainsi que les bras)
Cependant, il est essentiel de noter qu'il existe d'importantes variations individuelles, et l'évaluation pour chaque patient devra être basée sur des tests pratiques.
D-Tests pratiques pour la détermination des lignes d'incision:
1-TEST D'ÉTIREMENT CUTANÉ:
Le test d'étirement cutané évalue l'élasticité de la peau, sa mobilité par rapport aux couches profondes et sa résistance. Il permet d'évaluer les niveaux de tension et les déplacements de la peau périphérique, aidant ainsi à localiser la zone cutanée donneuse qui sera utilisée pour fermer la perte de substance.
Ce test est réalisé avant de dessiner les repères chirurgicaux et d'administrer l'anesthésie locale. Il consiste à pincer la peau entre le pouce et l'index, ou entre les deux mains. Lorsque le plissement de la peau est perpendiculaire aux lignes de moindre tension cutanée (LMTC), il génère des sillons linéaires et parallèles les uns aux autres, suivant les directions de moindre tension. En revanche, lorsque le plissement n'est pas perpendiculaire aux LMTC, les sillons prennent une forme en "S".
Si les lignes de moindre tension cutanée (LMTC) sont difficiles à identifier avant l'intervention chirurgicale (par exemple, sur une peau jeune sans rides ni plis), une approche pourrait consister à réaliser une exérèse circulaire et ensuite ajuster la suture en fonction de la déformation résultant de la perte de substance. Pour déterminer les lignes de tension pendant l'opération, le test d'étirement cutané (TEC) peut être effectué en utilisant deux crochets de Gillis ou en pinçant la peau entre la pince d'Adson et la main.
2-ANALYSE DES MOUVEMENTS:
L'évaluation des tensions et des déplacements tissulaires autour de la zone de perte de substance peut également être réalisée en analysant les mouvements musculaires préférentiels de la région concernée.
Lorsqu'une exérèse avec suture est effectuée dans des zones près des ouvertures naturelles (yeux, bouche, nez), il est essentiel de veiller au bon fonctionnement, à la symétrie et à l'ouverture des orifices. Dans ces régions, la réalisation des deux tests, à savoir le TEC et l'analyse des mouvements musculaires, est d'une importance primordiale pour détecter d'éventuels impacts fonctionnels indésirables.
Chez les personnes âgées, il est impératif de réaliser ces deux tests de manière systématique avant toute intervention dans la région palpébrale inférieure. Ces tests visent à évaluer la laxité des tarses et à estimer le risque d'ectropion.
En ce qui concerne le visage, en particulier chez les individus jeunes, les plis, les rides et leurs emplacements futurs peuvent être évalués en observant les expressions faciales, comme le sourire, le froncement des sourcils, la grimace et le plissement du nez. En prévoyant judicieusement l'emplacement de la cicatrice en fonction de ces mouvements naturels, il est possible de la dissimuler de manière anticipée.